Le caprice de l’huître

Puisque c’est de saison, je m’en vais (mais je reviens) vous parler de ce petit livre aussi curieux que savoureux : « Biographie sentimentale de l’huître » de M.F.K. FISHER ressorti récemment à l’occasion de mon toqué remue-méninges de bibliothèque et amoureusement  redéposé dans la cuisine (aux côtés de bouquins de recettes plus classiques et des plus qu’exquises et cocasses « Miscellanées culinaires de Mr Schott »).

Ce livre me fut offert par une érudite amie, à l’occasion de rien, juste parce qu’elle me connaissait assez bien pour savoir que les huîtres étaient les mollusques de ma vie, et que j’avais un trait commun avec les belons, celui de me refermer sur mon bedon dans certaines situations…

Je suis un être plutôt facile à vivre pour peu que l’on supporte l’humeur constante. Il est vrai que d’aucuns aiment à se chamailler ou tempêter, choisissant peut-être ainsi de pimenter leur vie et je reconnais sans souci que vivre un quotidien sans humeur de chien pourrait en lasser certains, les énerver, les déstabiliser et les pousser qui sait, à tout tenter pour me sortir de mes  gonds (ce qui finirait par arriver, étant certes d’un naturel constant mais pas non plus complètement con).

Quand quelque chose me mine, m’agace, me chagrine, je fais le caprice de l’huître et je ponds… Non pas que je boude (ne vous méprenez pas, je ne suis pas de celles qui font la sourde), je bloque juste les accès à l’abcès de mon cervelet, pour éviter de l’épancher en me penchant. J’esquive les invitations et les questions, ignore la porte et son carillon, et regarde le téléphone sonner sans bouger. Une fois ma perle formée, j’éjecte le globule sécrété, avec calme et tranquillité, débloque toutes mes entrées et explose mon forfait (il faut bien, en effet, répondre à ceux qui m’ont appelée).

Cette biographie me fut donc offerte (je viens, avec stupeur, de prendre conscience de ma digression, dans toute sa longueur) par amitié et par passion. Parce que, quand il s’agit d’huîtres, La Vilaine perd la raison, qu’elle en oublierait de respecter les saisons, qu’elle en aime jusqu’à la délicate opération nécessaire à leur ouverture, qu’elle y trouve une sensualité gustative et métaphorique prompte à s’ébaudir… Et c’est cette exacte volupté que l’on retrouve sous la plume de M.F.K Fisher, qui a, bigorneau sur le plateau, le génie de rendre passionnante et palpitante la vie de cette bivalve en allant jusqu’à citer Hamlet pour mieux illustrer son propos.

Dans ce petit ovni littéraire l’auteur nous livre des recettes insolites, nous conte la vie sociale et sexuelle des huîtres, nous confie des anecdotes méconnues et drolatiques (comme celle de C. Pearl Swallow qui mourut d’une huître avariée), et procure à tous les amoureux de ce fruit de la mer, de nombreuses nouvelles raisons de tomber en pâmoison… Un livre à gober les yeux fermés.

Extraits :

« Des Chincoteagues vivantes, dont les lamelles frémissaient imperceptiblement sous la caresse de l’air. On les laissait tomber, propres et charnues, dans le lait qui chauffait (…). Les huîtres, alors, étaient plus dodues que jamais, chaudes à cœur, mais encore tendres. C’était une excellente fricassée, que nous dégustions avec des toasts grillés beurrés qui brûlaient les doigts (…) le souvenir que j’ai de ces deux mets est beau et rassurant »

« Corsée mais suave, nourrissante mais délicate, chaude comme l’amour, et plus réconfortante encore en hiver »

« Pendant un an environ, cette huître (notre huître) est un mâle qui fertilise de son mieux quelques centaines de milliers d’oeufs, sans même savoir s’ils passent ou non à proximité. Et puis, un beau jour, surgissent entre ses deux valves, au fond de ses froides entrailles, de ses lamelles et de toutes ses franges ondulées, des instincts maternels. La nécessité, mère bien connue de l’invention, le pousse à suivre son exemple. Il est elle.